Les grands manuels historiques du primaire pour l'histoire suisse et l'histoire de France
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Un premier aspect pour commencer : une bibliographie critique des moyens d'enseignement en histoire jusqu'au début des années 2000
Elaborée au tournant des années 2000 pour mes étudiants-es de l'Université de Fribourg préparant un diplôme d'enseignement pour le secondaire II, le Pdf ci-joint est un extrait de la bibliographie générale relative aux moyens d'enseignement de l'histoire en Suisse romande et alémanique, en France, avec quelques aspects pour d'autres pays.
Enseigner l’histoire dans les années 1990,
à partir d’un moyen d’enseignement classique
Les manuels sont alors encore, en Suisse romande, rationnels : ils livrent des contenus clos sur lesquels une activité d'élève privilégiée consiste à répondre à des questions de compréhension (la réponse se trouve dans le contenu) ou à 'apprendre' leurs chapitres pour en réciter des bribes à l'examen.
Au tournant des années 2000, on se met à concevoir des moyens d’enseignement fonctionnels (en Suisse allemande, dès les années 1980 déjà), permettant de placer les élèves en situation d’apprentissage ouvert, non pas seulement de restituer à l’examen, au contrôle écrit ou oral noté, des contenus de cours ou de manuel, dans le cadre d’une transmission directe.
La modélisation sur 'The Big Boom' (livre du maître, 1993) incitait toutefois déjà à proposer un enseignement plus ouvert sur des contenus gravés dans le marbre du manuel, à conduire les élèves des opérations intellectuelles des niveaux connaissance ou compréhension, indispensables, à ceux de l'application, de l'analyse, de la synthèse ou de l'évaluation (jugement)... l'équivalent des “modes de pensée d'inspiration historienne” de la didactique des années 2000.
Deux extraits de la modélisation didactique 'The Big Boom'
(Pdf complet à télécharger ci-dessus) Un contenu et une page d'activités d'élèves, sachant qu'il s'agit de la didactique des années 1980, inspirée du béhaviorisme dans ce qu'il avait d'acceptable pour l'école, tout de même assez loin des expériences de l'armée américaine (!).
Un cas de contenus inspirés de représentations classiques repris en tenant
compte des acquis de l'historiographie contemporaine
Les chasseurs-cueilleurs ne sont plus cantonnés dans la Préhistoire : on les voit dans leur vie actuelle, comparés à la manière dont se ravitaillent les clients d'un super-marché de la civilisation industrielle. Age de pierre, âge d'abondance de Marshall Sahlins venait de sortir !
. Histoire 3. Manuel d’histoire générale pour le secondaire. T. 3, XIXe et XXe siècles. Fribourg Fragnière 1992, 240 p. Cartes, tabl., ill. (T. 1/1990; T 2/ 1991, en collaboration). «Histoire de l'art: du XVIIIe au XXe siècle; L'Entre-deux-guerres; L'Est contre l'Ouest; Le Nord dans le Sud; Le Monde actuel», Fribourg : Fragnière 1992, pp. 94-109, 132-171, 190-279.
. Histoire 1, 2, 3. Pour le maître... Le livre du maître de la collection des manuels Histoire 1, 2, 3. Fribourg : Éditions Fragnière 1995, 200 p. (en collaboration). En particulier : «"The Big Boom": un outil pour enseigner l'histoire..», pp. 3-17 ; «Les guerres de l’ex-Yougoslavie (1991-1994) : histoire immédiate, enseignement de l’histoire et vision tragique du monde» (12 p.).
Ce manuel avait tout de même pris en compte certains acquis de l'histoire des historiens
Lorsque les manuels sont rédigés par les enseignants-es, en principe sous les auspices de leur institution, la transposition didactique dépend de la relation que les auteurs-es entretiennent avec les savoirs nomothétiques (issus de sources agréées par la communauté scientifique de la discipline). Dans la collection Histoire 1, 2, 3, le passé est toujours présenté, découpé, de manière linéaire, en fonction des 'Cinq grandes vieilles' de l'histoire classique : t. 1 Préhistoire et Antiquité; t. 2 Moyen Age et Temps modernes; t. 3 Epoque contemporaine. J'ai toutefois eu l'opportunité, appelé par l'éditeur alors que la collection était en voie d'achèvement, pour remplacer un collègue, de concevoir les dernières séquences du t. 3 selon une organisation structurale des connaissances historiques (ouvrant à une compréhension plus globale, en profondeur, non linéaire, non occidento-centrée), en recourant, dans la mesure du possible, aux derniers acquis de la recherche historique, à l'instar de ce que proposaient les collections zurichoises par exemple, pionnières, dès les années 1980. Donc ici, avec Histoire 3, toujours dans le cadre d'un manuel rationnel, dont le savoir est fini, présenté, non pas servi comme ressources aux apprentissages de la discipline. Toutefois, sans avoir pu inférer sur la conception structurelle et didactique de la collection, j'ai inséré en ouverture du livre du maître (Pour le maître... 1995) une modélisation pratique ouvrant à la pédagogie par objectifs à partir du contenu de la séquence 'The Big boom', déjà citée et sur laquelle je reviendrai.
Une histoire savante (vulgarisée) de l'art passant dans un manuel scolaire
Par exemple, dans Histoire 3, l'histoire de l'art n'est pas prétexte à illustrations de moments du passé. Elle est un domaine ouvrant à l'histoire des mentalités permettant de repérer les mutations essentielles du passé, intégrant l'espace où vivent les élèves à celui des civilisations.
C'est une idée centrale de Histoire de l'art d'Ernst Gombrich (2022/1950) que les styles de l'art monumental occidental, par exemple, n'ont subi que deux révolutions, depuis les modèles égypto-greco-romains : celles du gothique et du Bauhaus (l'art moderne) ! Tout le reste n'est que ' néo- ' ou 'renaissance', ainsi qu'on peut le voir dans ces deux pages tirées d'une séquence longue sur l'art au XIXe siècle, période particulièrement révélatrice de tels phénomènes de reprises, d'imitation, de retours... marque d'attitudes passéistes.
Ainsi, l'image explique autant que le texte, dans des séquences longues
Ainsi, l'iconographie n'est pas traitée en tapisserie : elle sert de base au récit. Un siècle après les premiers manuels d'histoire illustrés, l'image. avec son langage propre, devenait une composante essentielle de l'explication historienne. Histoire 3 n'a évidemment pas l'apanage de cette posture ou de cette démarche qui vient de l'histoire savante vulgarisée, comme dans l'exemple suivant.
Tirées de la grande histoire sociale de l'école française des Annales, des années 1980, les images juxtaposées d'une famille de la ville et d'une famille de la campagne, contemporaines, ouvraient à une histoire globale, entremêlant archaïsme et modernité : la fameuse 'non contemporanéité du contemporain'.
Mais offrir aux classes une présentation
du passé conforme aux approches de la Nouvelle Histoire n'est pas pour autant une garantie de leur apprentissage.
Ce serait toute une autre histoire !
Ces quelques éléments tirés du t. 3 de la collection fribourgeoise Fragnière (1990-1992), éléments que l'on m'avait demandé d'élaborer alors que la conception générale de l'ouvrage était arrêtée, s'inscrivent dans ce moment crucial de l'élaboration des manuels d'histoire en Suisse romande : le passage de manuels rationnels, classiques - comme le célèbre 'Chevallaz' de Payot (1957), réimprimé jusqu'en 1993 -, à des ressources fonctionnelles ouvrant aux apprentissages subjectifs. J'avais donc pu procéder, in extremis, pour le 'Fragnière', à la rédaction en introduction du livre du maître Pour le maître... (1995) d'un cahier de pédagogie par objectifs pour l'histoire, sur une séquence rationnelle ('The Big Boom'), en proposant des activités d'élèves dans tous les niveaux d'opérations intellectuelles, de la restitution de mémoire (privilégiée par l'usage des manuels classiques) à l'analyse, la synthèse ou l'évaluation, soit l'établissement de rapports d'enquête et de jugements... par les élèves.
C'est l'histoire de ce passage qui est présentée dans le dossier suivant.
Une guerre des manuels
en Suisse romande ?
Aussitôt la collection fribourgeoise 'Histoire 1, 2, 3, Pour le maître... ' sortie, Vaud se met à élaborer ses propres moyens pour remplacer l'indécrottable 'Chevallaz' de Payot (1957-1993). Déployant des moyens humains et financiers hors du commun, la saga de cette collection - au coeur d'une évolution générale des manuels d'histoire - se lit dans cet article de la Revue suisse d'histoire (2001).
- Voir notamment : 6. Le manuel rationnel : un subterfuge pédagogique ?
Le cas de la dernière collection vaudoise.
Comment se conçoit un moyen d’enseignement en histoire ?
De 1996 à 2016, avec des interruptions, j'ai fonctionné comme expert pour les moyens romands d'enseignement en histoire, comme je l'ai fait (auteur et expert) pour les ressources de la licence française, par l'université de Rouen, ou pour les moyens du Conseil de l'Europe (Share history, voir en bibliographie à la rubrique Accueil).
Le dossier annexé 'Comment se conçoit un moyen d'enseignement en histoire ?' relate une longue gestation, depuis le tournant du XXIe siècle, apporte les propositions en adéquation avec les acquis contemporains des disciplines contributives, montre comment s'y prennent les auteurs d'autres régions et d'autres pays. Et donc évoque la dimension de l'évaluation des apprentissages, en continu, incorporée aux moyens d'enseignement, dimension qui ne sera pas retenue : l'édition reste partagée entre contenus du livre d'enseignement et exercices du livre de l'élève. Le cahier des outils et démarches propose des activités sur des opérations intellectuelles complexes propre à la discipline histoire enseignée ('enquête'... ) mais transcrites dans le livre de l'élève à des niveaux plus simples, tel celui, certes important, de la compréhension étiqueté 'analyse'. Par exemple, répondre à des questions dont la réponse est dans le manuel relève du niveau 'compréhension' dans une taxonomie des opérations intellectuelles, en aucune manière d'une activité de déduction ou d'induction, d'une véritable 'analyse'.
Une longue gestation qui aboutit aux moyens édités par les Directions de instructions publiques cantonales romandes (CIIP), par étapes, jusqu'au vernissage de 2023.
Si les recommandations des experts du groupe des sciences humaines et sociales ont été largement suivies par les rédactrices et les rédacteurs du primaire (1-8 H), la rédaction des moyens destinés aux élèves 9-11 H du secondaire 1 (le collège en France) est restée plus indépendante.
Mes collègues historiens universitaires convoqués pour un dernier regard correcteur sur cette immense entreprise sont restés cantonnés dans les remarques sur les contenus, au demeurant précieuses. Ainsi, ni la dimension de transposition des savoirs savants issus de la nouvelle histoire, qu'il aurait fallu prendre en compte dès la conception, ni celle des acquis de l'épistémologie de la discipline ou des avancées récentes de la didactique, notamment dans le domaine crucial des apprentissages en situation de transfert, n'ont été vraiment constitutifs de ces nouveaux moyens, au niveau secondaire. Contrairement, comme le montre aussi le dossier, aux moyens réalisés dans les pays francophones voisins ou les régions alémaniques de la Suisse, chaque fois que historiens universitaires, didacticiens, formateurs et enseignants ont tous oeuvré comme auteurs à part entière.
Mon volumineux rapport final 'Comment se conçoit un ME en histoire ?', sous forme d'une présentation PowerPoint de 74 Dias illustrées, assorti d'un commentaire Word en annexe (non publié ici), est donc resté à l'état de pistes pour un idéal d'histoire enseignée par les ressources. Un idéal pour l'instant, en Suisse romande au secondaire, qui reste en partie à atteindre (en particulier en ce qui concerne, pour le secondaire donc, une transposition didactique issue de l'histoire globale ou connectée, et aussi de la pédagogie des apprentissages situés en auto-évaluation, caractérisée par des situations de transferts des connaissances enseignées.
Ce qui n'empêche évidemment pas les enseignantes et les enseignants d'en appliquer les principes chaque fois qu'elles ou ils s'en donneront les moyens, sans avoir à recourir à ce type de document-ressources.
Exemple d'un projet pour les MER 9 H du PER en histoire : une séquence ouverte
sur le commerce au Moyen Age
Ci-contre quelques éléments de la séquence 'Le commerce au Moyen Age' élaborée en séminaire de didactique de l'histoire à l'Université de Fribourg, en synergie avec l'un des professeurs d'histoire du niveau concerné, lui-même auteur des MER.
L'idée est de placer les élèves sur les contenus à enseigner par des activités d'apprentissages qui peuvent être auto-évaluées, en fonction de modes de questionnement diversifiés (questions de sélection et de production, critériés), conformément aux acquis de la docimologie contemporaine.
En jaune, la théorie didactique qui aurait pu être mise à disposition des professeurs et, pourquoi pas, des élèves, ainsi associés consciemment à la méthode qu'ils utilisent pour apprendre dans la discipline de l'histoire enseignée.
D''autres pistes, plus classiques, ont finalement été suivies.
Les modes de questionnement sous forme sélective (QCM, V-F, appariements... ) passent souvent pour des procédés techniques dévalorisant. En réalité, correctement conçus, et par rapport au modes de questionnement classiques (questions-réponses ou production de textes ouvrant aux biais de l'évaluation normative), ces techniques de questionnement permettent de critérier les demandes et, justement, d'échapper aux biais normatifs, obligeant le correcteur à une évaluation objective, autant que possible. Elles ouvrent aussi à l'auto-évaluation et nécessitent une maîtrise dans le domaine de la docimologie.
Dans les moyens d'enseignement classiques, quelle que soit la discipline enseignée, les demandes formulées à l'intention des élèves sont très souvent confinées aux questions de connaissance ou de compréhension : l'élève trouve la réponse en compulsant ses moyens, ce qui est une étape non une fin. Et lorsqu'il est question d'une 'enquête', d'une 'recherche', d'une 'analyse'... ce ne sont pas les niveaux intellectuels d'analyse (par induction ou déduction) ou de 'synthèse' (établissement d'un rapport conclusif après examen d'hypothèses), mais bien, justement, ceux de connaissance et de compréhension, nécessaires bien sûr mais à condition qu'ils conduisent plus loin intellectuellement.
Dans les exemples de la séquence 'Le commerce au Moyen Age', le questionnement est plus ouvert : on doit certes élaborer la réponse en puisant dans le contenu placé en regard, mais par une comparaison ou un choix (pour les question de sélection), par une démarche progressive, plus ou moins ouverte (pour les questions de production), des transferts de connaissances en situation nouvelles qui ne limitent pas le travail de l'élève à reproduire ce qu'il a sous les yeux.
- Voir aussi à 'Histoire de la Gruyère' : les dispositifs d'évaluation critériée (fiche 24) associés à une histoire de la Gruyère en 23 fiches d' “Images parlantes'.
La Suisse et le IIIe Reich: pour un enseignement-apprentissage de l'histoire des historiens
Faut-il le rappeler, un historien «fait de l’histoire», examine l’économie du passé dans le présent, publie le résultat auquel il est parvenu, sa méthode et ses sources, c’est-à-dire procède à une enquête, rédige le rapport de cette enquête (étymologiquement, du grec ἱστορία). Or les conditions d'un tel transfert ne sont pas remplies lorsqu'un manuel est conçu comme roman national, avant les renouvellements du tournant du XXIe siècle. Sans compter que les historiens savants, autant que les professeurs d'histoire, souvent, récusent aux élèves du secondaire l'accès aux conclusions obtenues par la recherche ainsi qu'aux méthodes qui les ont produites : tout juste sont-ils conviés à prendre en notes des digests à régurgiter le jour de l'examen. Un constat de plus en plus caduque, au fur et à mesure des progrès de la formation des enseignantes et des enseignants.
Voici un article, parmi plusieurs autres, choisi pour montrer comment se fabriquait l'image d'une Suisse héroïque, jusque dans les colonnes de ses manuels conçus par des auteurs sans prise sur les représentations courantes, par rapport aux moyens d'enseignement proposant d'examiner le passé plutôt que de l'avaler tout cru...
La juxtaposition de versions héroïsantes avec celles fondées sur les sources historiennes se révélera très formatrice pour une histoire comme discipline des sciences humaines et sociales à l'école.
Ici, par exemple, que dira une classe en confrontant les versions d'André Siegfried et de Klaus Urner, par rapport à une classe qui ne disposerait que d'une transposition de La Suisse démocratie-témoin, ouvrage de commande appelé à redorer l'image de la Suisse au lendemain du Second conflit mondial et dont G.-A. Chevallaz s'est inspiré pour son manuel ?
Un exemple de dispositif d'histoire enseignée fonctionnel complet, des contenus à l'évaluation
Pour se faire une idée d'un dispositif d'enseignement fonctionnel complet - des contenus rédigés en fonction de sources historiennes à l'évaluation critériée des apprentissages -, on peut aller à cette référence déjà mentionnée dans la rubrique précédente :
https://musee-gruerien.ch/amis/des-images-parlantes/ (contenus aux fiches 1-23 / évaluations à la fiche 24).